jeudi 21 août 2014

Blinis et caviar, ragoût d'agneau à l'iranienne...

par Yashiko Sagamori

De : Arkady Mazin [xxxxxxx@xxxxxxxx] Envoyé : Sun 11/20/2005 1:41AM
À : yashiko.sagamori@xxxxxxxxx

Sujet : Hello
Désolé, j’ai eu quelques difficultés à essayer de taper « Chère Madame » ou quelque chose dans ce style. Il m’est difficile d’être poli avec un certain genre de personne. Contrairement à vous, je n’ai pas besoin de me dissimuler derrière un pseudonyme, même si j’ai déjà reçu deux ou trois fois dans ma vie des menaces en raison de mon activité professionnelle. Je m’appelle Arkady Mazin, et je suis un journaliste israélien. Je ne crois pas qu’un quelconque argument sérieux puisse vous permettre de réaliser vos erreurs, car je suis sûr que la vérité ne vous intéresse absolument pas. Je me suis simplement senti obligé d’exprimer mon opinion sur votre pseudo « journalisme » : je pense que votre ignorance prend des proportions incroyables et ne peut être comparée qu’à votre haine aveugle. Les gens comme vous bouffent la haine, boivent la haine et nourrissent les autres de leur haine. Vous êtes une nazie d’aujourd’hui. J’avais commencé à écrire : « Gœbbels serait fier de vous », et puis je me suis souvenu que lui était tout de même un professionnel. Moi, je suis israélien et juif, et j’ai très honte à l’idée que des gens comme vous pensent qu’ils défendent ma cause.



Mon cher Monsieur Mazin[1],

Contrairement à vous, j’utilise sans effort une formule de politesse à la française en espérant satisfaire à vos critères de politesse verbale, bien qu’à ma connaissance, de mon côté de l’Atlantique, la dernière femme à s’être fait donner du Chère Madame ait été Xaviera Hollander[2]. Voilà qui me fournit un indice sans équivoque concernant la source de votre notion du bon ton.

J’applaudis le courage avec lequel vous m’avez jeté votre vrai nom à la face. À l’évidence, vous n’avez pas peur de moi, ni de mes petits voyous. Vous saviez qu’ils étaient en vacances, ou bien vous êtes toujours aussi téméraire ?

Maintenant, après vous avoir ainsi prodigué des compliments sans compter, je pense que je peux aussi me permettre de vous faire une critique amicale. Contrairement à ce que vous pensez, votre lettre colérique n’exprime aucune opinion d’aucune sorte. Si je dis « Vous avez tort » et si j’explique précisément ce qui m’a menée à cette conclusion, j’exprime une opinion. Quand vous hurlez quelque chose avec le mot « nazi(e) », vous n’exprimez que votre colère. En étalant ainsi vos émotions en public, ce que vous dévoilez, c’est vous-même, et non l’objet de vos émotions.

Vous avez raison à 100 % quand vous me faites remarquer que je ne suis qu’une dilettante. Contrairement au Dr Gœbbels et à vous-même, je ne suis pas une propagandiste professionnelle. Je ne me suis jamais considérée comme une journaliste. Je partage simplement mes idées avec quiconque peut être intéressé à les connaître. Je fais pour le plaisir ce que vous faites pour de l’argent, ce qui fait entre nous autant de différence qu’entre une femme amoureuse et une prostituée. Par conséquent, je n’ai pas de mal à comprendre la raison pour laquelle vous m’en voulez.

Vous avez de quoi être en colère, car malgré mon indéniable dilettantisme et votre glorieux professionnalisme, vous avez visiblement l’habitude, comme des milliers de personnes dans le monde entier, de lire ce qui sort de mon stylo de dilettante, alors que moi, je n’aurais jamais entendu parler de vous de toute ma vie si vous ne vous étiez pas fait bruyamment connaître avec votre lettre.

Votre lettre a suscité ma curiosité. Comme vous n’avez même pas essayé de m’expliquer au juste avec quoi vous étiez aussi passionnément en désaccord dans mes écrits, j’ai entrepris de trouver vos articles afin d’en déduire vos idées. J’en ai lu plusieurs. Étant vous-même auteur, vous connaissez sans doute ce sentiment qu’on éprouve parfois en lisant quelque chose de mieux écrit par un autre auteur. On se sent envieux. On se demande : « Pourquoi ce n’est pas moi qui ai écrit ça ? » En lisant vos articles, je n’ai rien éprouvé de tel. Pire, je n’y ai pas trouvé d’idées, ni donc de raison de lire à nouveau quoi que ce soit que vous pourriez écrire.

Parce que je suis une personne honnête et objective, il me faut ici reconnaître que tout le monde n’est pas d’accord avec moi. En effet, dans un récent sondage effectué auprès des lecteurs de la presse israélienne, 4 % des personnes interrogées vous ont cité comme étant leur journaliste préféré. Le nombre total de personnes interrogées était 76. Cela signifie que votre fan club comporte légèrement plus de 3 membres, mais bien moins que 4. Les trois membres, ça ne peut être que vous, votre mère et votre père. Quant à la décimale, je ne peux que supposer que vous avez un hamster.

Vous vous exprimez bien mieux quand ce n’est pas écrit pour être vendu. J’ai trouvé des exemples de vos poésies dans lesquels vous n’avez pas honte de faire rimer rose avec chose ni d’utiliser le mot assurance uniquement parce qu’en russe, ce mot rime avec quelque chose de poli qu’on évite d’écrire. Et je me suis dit qu’habituellement, à votre âge, les garçons ont dépassé le stade de l’humour scatologique. J’ai trouvé une photo sur laquelle vous ressemblez à un apprenti John Lennon de province qui espérerait rencontrer un jour sa Yoko Ono. Mais ce qui vous différencie de Lennon, ce n’est pas simplement l’absence de talent, c’est aussi l’absence totale de bon goût. Vous vous êtes dévoilé par inadvertance en postant sur votre site la photo d’une jeune femme et en indiquant que l’expression de son visage vous rappelait ce qui vous manque le plus cruellement dans votre vie. Si j’en juge d’après cette photo, vous devez être tout petit, Monsieur Mazin. Mais ne vous désespérez pas. Vous n’avez pas fini de grandir. Vous pouvez encore grandir assez pour avoir honte de ce que vous êtes aujourd’hui.

Pour finir, j’aimerais vous dire quelques mots sur moi. Le jour où j’ai fini par tomber sur votre lettre débordante de colère dans ma boîte à lettres débordant de courrier, nous avions des amis à dîner. Au menu : en entrée, blinis et caviar, comme plat principal, ragoût d’agneau à l’iranienne, puis un assortiment de fromages portugais et des fruits frais comme dessert. Et pour accompagner tout cela : Stolichnaya frappée avec les blinis, Amarone Valpolicella avec le ragoût, Porto avec le fromage, et quand nous sommes sortis de table, nous avons siroté de l’Armagnac et du Balvenie. Est-ce que cela ressemble à de la haine, pour vous ?

Au revoir, mon ami ! [1] Vôtre toujours,

Y.S.

P.S.: Je ne pense pas défendre votre cause. Je ne pense pas que vous ayez une cause.


[1] En français dans le texte.
[2] Call-girl et actrice de cinéma pornographique qui eut son heure de gloire dans les années soixante-dix.

Yashiko Sagamori est consultante en informatique à New York.

© 2005 - Yashiko Sagamori - middleeastfacts.com
© 2008 - Marcoroz pour la traduction

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